C’était à la fin d’un cours sur la justice où j’avais commenté l’extrait de la République de Platon consacré à la légende de l’anneau de Gygès. Un élève, Jan, est venu me parler du Seigneur des anneaux. J’en ignorais jusqu’à l’existence et il m’en a vivement recommandé la lecture. Quelques temps après, dans une librairie, j’ai feuilleté le livre. Ah, les désastres causés par le pseudo-intellectualisme et les préjugés dont mes études, et aussi mon éducation, m’avaient carapaçonnée ! La collection publiait d’autres ouvrages que je méprisais, l’illustration de la couverture m’apparaissait puérile et je reposais le livre. Je rêve que, par un hasard extraordinaire, Jan lise ces lignes ; il s’amusera de la bêtise de son enseignante et se félicitera d’être malgré tout à l’origine de sa «conversion. »
Car il y eut, quelques années après - ce ne pouvait être un simple hasard - à la suite d’un cours consacré au même texte platonnicien, Rémy et Édouard pour établir un rapprochement avec le même livre, plus exactement avec le film. On me prêta le DVD. J’allai voir le troisième épisode au cinéma. Puis je dévorai les trois tomes de Tolkien, plusieurs fois. Je remontai la source vers Bilbon le Hobbit. Et je m’inspirai du romancier anglais pour illustrer certains thèmes de mes cours, j’écrivis des commentaires, des réflexions…
Il y a trois ans, je préparais, cartes étalées sur la table, un voyage dans l’Aude où se visite, entre autre, une célèbre abbaye. Le parcours était bouclé sur mon papier, sauf l’abbaye, introuvable malgré ma documentation. Je le déplorais auprès de ma moitié : « Pourtant, Foncombe, c’est forcément signalé quelque part ! » « Tu devrais plutôt chercher Fontfroide... »

J’avais confondu le nom du pays des Elfes avec la toponymie d’un département français !

Si c’était distraction de ma part, c’est surtout l’œuvre du génie littéraire de faire entrer le lecteur dans la fiction qui envahira sa propre réalité. Mais cette invasion n’est pas qu’un détournement ; elle est aussi un révélateur. « Il y a, en effet, depuis des siècles, des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement. Ce sont les artistes. » ( Bergson , La pensée et le mouvant. )
Alors je veux laver ici les derniers relents de snobisme intellectuel qui me font trop souvent préciser, quand j’évoque Tolkien en classe, qu’il était professeur d’université. Je sais bien d’où elle vient, cette habitude absurde de n’accorder de crédit qu’aux auteurs que leurs fonctions, quelles qu’elles soient, auréolent d’un « sérieux officiel. » Mais si je peux penser philosophiquement au Seigneur des anneaux, c’est avant tout car il s’agit de l’œuvre d’un grand artiste.
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